Il était une fois un âne

Il était une fois un âne qui ne voulait plus avancer, et encore moins travailler, quoique ce soit qui fût à faire. Il était vieux, fainéant et buté. C’était un âne, un vrai. Rien n’y faisait, il ne faisait rien.
La carotte au milieu des yeux le faisait loucher mais il ne bougeait pas.
Sa propriétaire, une vieille dame seule, continuait de le nourrir, par habitude sans doute. Il mangeait peu et ce qui était hors de portée de ses dents, le restait.
La vieille dame râlait souvent et le traitait de jolis noms d’oiseau.
Elle tapait son flanc ou caressait ses flancs, rien n’y faisait, il ne faisait rien.
Un jour, un voisin de la foret qui lui rendait visite chaque dimanche à l’heure de la messe, voulut le secouer un peu et muni d’un balai de genet fraîchement coupé, tenta de le faire bouger …
La ruade des deux pieds qui partit des sabots de l’âne et arriva en bas du dos du voisin, propulsa celui-ci de l’autre coté de l’enclos. Comment franchit-il la barrière ? Nul ne le sut, ni ne s’en préoccupa, car tous était penché sur l’anatomie du voisin, couché sur le dos, face contre terre, un bras, le gauche, entre les jambes, l’autre bras, le droit, sous le dos, les jambes et les pieds, semblaient être au dessus de la tête, mais ce n’était qu’illusion d’optique…
On crut tout d’abord que le bassin fut fracturé, on craint tout aussitôt que l’entre jambe fut atteint, au préjudice de son épouse, on se préoccupa, enfin des conséquences d’un tel choc sur ses capacités cognitives.
Tous ceux qui étaient là en ce dimanche matin, crièrent après le docteur, on courût le chercher et on chercha partout, il était à la messe et ne voulait pas être interrompu pour un coup de pied au cul !
On fut rassuré, tout allait bien, sauf l’amour-propre du voisin qui mit quelques temps à s’en remettre, et l’ordonnance du toubib qui ne plaisantait pas.
Il fallait l’exécuter sous huit jours sauf à ce qu’il aille lui-même voir les gendarmes pour application immédiate, le caractère de l’âne n’appelant aucun sursis.
Le bourricot, ainsi le nommait-il, était devenu danger public et il fallait le mener à l’abattoir où il serait transformé en saucissons, charcuteries diverses et beaux morceaux déjà réservés par les trois édiles du village, le maire, le curé et le médecin, le quatrième, l’instituteur, ne prenant pas parti, ni partie.
La vieille femme de la forêt était effondrée, ne pouvant envisager d’être séparée de force de son compagnon. Elle l’aurait accepté si cette séparation avait eu une cause naturelle comme la maladie ou la mort, mais là, lui demander de l’emmener elle même, s’en était trop, on ne pouvait lui demander une chose pareille!
Les voisins bottaient en touche surtout celui qui était responsable de cet état de fait : quelle idée d’aller secouer un âne avec un balai de genet fraîchement coupés ?
Qui mit le feu à la foret ?
Comment expliquer qu’il se propagea si vite vers l’église ?
puis vers le dispensaire médical, enfin vers la mairie ?
Qui sait pourquoi le feu sauta des pâtés de maison pour aller s’éteindre dans l’abattoir, transformant en fumée les pâtés de la maison ?
Les pompiers étaient pourtant au feu, mais ils étaient à tout moment précédés par une bête rapide, virevoltante de foyers en départs de feu. Elle était montée par une femme en linceul blanc, cheveux au vent, un balai de genets fraîchement coupés sous le bras.
Ils allaient tous deux de la forêt à la ville, éteignant ici, tisonnant là, l‘étouffant ici, l’alimentant là, présents partout, insaisissables toute la nuit..
Au petit matin, quelques traces, quelques cendres, quelques braises, ne permirent pas à la police de conclure sur l’origine du feu… Elle mentionna néanmoins la disparition d’une vieille femme, la fuite d’un âne et c’est tout !
Pas de quoi en faire un fromage, fut-il de tête, ou d’âne…

MORALITE
Quand un âne, perclus de rhumatisme, ne bouge plus, même pour se nourrir, dites bien vous les enfants, à tous ceux qui s’approchent de lui, de ne pas le titiller avec un balai de genets fraîchement coupés, parce que cela pourrait donner naissance à une nouvelle sorcière…

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