Mémoire d’une bougie

J’ai commencé ma vie comme bougie de salon.

En fait, le titre est flatteur mais je faisais de la décoration, bien sage, sans bouger, immobile sur mon bougeoir, car je n’étais jamais allumée.
Je restais neuve, jeune et belle.
Un jour pourtant, après une nuit de grand vent, l’électricité, vieille ennemie jurée puisqu’elle prit ma place dans les chaumières ou les lampadaires, ne fonctionna plus.
Victoire ! On alluma les bougies !
Je connus enfin le bonheur de scintiller, de briller, d’éclairer.
Mais quand cette anti-fée d’éléctricité revint, j’avais fondu d’un tiers et en conséquence, je perdis ma place au salon, car il fallait des bougies neuves, jeunes et belles.

Je devins bougie de cuisine.

Période triste de ma vie où je servais de temps à autres, pour éliminer les odeurs, absorber les fumées, ou faire disparaître les relents des plats qui mijotaient à côté de moi.
Ce fut heureusement une période courte, car je perdis à ce jeu-là un deuxième tiers de ma grandeur passée.

Et je finis ma vie comme bougie de chambre à coucher.

Quel bonheur ce fut !
J’éclairais de mes lueurs les élans des cœurs et les ébats des corps…
Chaque nuit, les galipettes à ma bougie venaient rythmer la fin d’une journée bien remplie d’un couple de jeunes mariés, tendrement épris l’un de l’autre.
Hélas, malgré tous mes efforts pour ne pas fondre, ma vie s’arrêta sur un dernier souffle de la jeune mariée, baignant de félicité, alors que j’étais à la dernière extrémité…

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