ISTANBUL, août 1973
Nous venions de passer la journée à visiter Istanbul, de la Mosquée Bleue à Sainte Sophie.
Nous revenions guillerets, vers la place du centre-ville où se trouvait le bus de Santa.
Tout le monde est là ? On se compte !
Tout en égrenant son numéro, chacun et chacune commentait sa journée, plus dithyrambiques les uns que les autres.
Teuf teuf faisait le moteur, tchoutoutout faisait le démarreur, bsimbsimsin patinait la courroie qui joignait l’un à autre, crotte de pique, pestait Santa assis face au volant, les pieds sur les pédales et la main droite tirant sur la clé de contact. Rien, quedal, le moteur ne voulait rien savoir !
Santa coupa le contact, descendit du car, ouvrit le capot et commença à faire le tour du moteur, élément après élément, tuyau après tuyau, durite après durite… tout était normal !
Jusqu’à ce qu’il se penche sur le carburateur : pas la moindre goutte de gasoil n’alimentait ce dévoreur de carburant, panne sèche !
Impossible, dit Santa, je viens de faire le plein, il n’y a pas cinq minutes et je suis sûr d’avoir mis du gasoil ! Réminiscence d’une autre histoire vécue en Pologne en 1965.
À la station, des gamins désœuvrés nous avaient tourné autour pendant que Pierrot faisait le plein, certains étaient accueillants, mais d’autres paraissaient beaucoup moins sympathiques. Ils nous regardaient avec la jalousie de ceux qui ont perdu le fil de leur propre vie…
Santa referma le carburateur et se dirigea vers l’arrière du car où se trouvait le réservoir : Plus d’alimentation de la pompe à essence, aussi nommé dans ce cas pompe à carburant. Plus de doute, on avait siphonné le réservoir ! Mais non, le plein était toujours là. Pas une goutte ne manquait, toutes étaient présentes à l’appel.
Santa se muni d’un long bâton qu’il introduisit jusqu’à la garde dans le réservoir. Il sentit des choses, du solide, qui n’avait rien à faire au fond du réservoir, et à la 14e tentative, il remonta… un morceau de sucre !
Impossible de rouler avec du gasoil sucré…
Tout le monde ressortit du car, muni d’un chapeau, de lunettes de soleil, d’un ou deux bouquins, bons ou mauvais, d’un jeu de cartes ou de tarot, de magazines déjà lu trois fois…
Bref, tout le nécessaire indispensable à celui qui veut tuer le temps, même s’il n’est pas d’accord, mais que faire d’autres qu’attendre !
Impossible d’intervenir sans démonter le réservoir, car bien entendu les morceaux de sucre reposaient au fond, là où un bras aussi long soit-il, ne pouvait pas les atteindre. On procéda à l’examen des mains, des poignets, des avant-bras, des coudes, bref on chercha et on trouva la demoiselle qui avait le bras assez long et assez fin pour, une fois le réservoir démonté et retourné, qu’elle puisse aller chercher un par un, ces foutus morceaux de sucre.
Elle en remonta un kilo !
Le temps de nettoyer, de remonter, de vérifier la bonne alimentation en gasoil, de déboucher ce qui était obstrué par du sucre, non miscible au carburant, donc non soluble, et l’après midi était passée…
Merci les Stambouliotes