Papa m’a fait peur

– Papa
– Oui…
– Papa ! viens !
– Oui…
La fillette cria.
– Papa, viens ! J’ai peur !
– Pourquoi as-tu peur ? répondit Papa, d’une voix lointaine
– C’est dans la télé, y’a un grand méchant loup…
– Je ne peux pas venir tout de suite.
– Papa, viens, il faut que tu viennes pour changer de chaine, Maman m’a dit que tu viendrais si j’avais peur…
– Et ta sœur, elle est où ta sœur ?
– Elle est descendue avec Maman, viens, ils vont tous tomber !
– Je ne peux pas venir ! Qui est tombé ?
– Les moutons !
– Les moutons sont tombés ? Alors, ce n’est pas bien grave. Y a-t-il un loup qui leur courre après ?
– Oui, il courre derrière ceux qui courent moins vite
– Et les premiers que font-ils ?
– Ils arrivent au bord de la falaise,
– C’est un dessin animé que tu regardes ?
– Oui, depuis que Maman est partie faire les courses.
– Ne t’en fais pas, les moutons vont tous être sauvés et c’est le loup qui va tomber dans le précipice… Le joueur de pipeau n’est pas encore arrivé ?

Papa interrompit sa besogne, ouvrit, inquiet, la porte de la pièce dans laquelle il se trouvait, tendit l’oreille quelques secondes et la referma, rassuré.
La petite fugue commençait à se faire entendre, venant de loin, avançant lentement, comme si le joueur de pipeau, sûr de ses effets et de son pouvoir, n’était pas pressé d’arriver sur place.

La fillette s’était arrêtée d’appeler son père et le silence régnait dans l’appartement, seulement contrarié par la petite musique de Bach, celle que les loups et les moutons connaissaient par cœur.

Le père, tout focalisé qu’il était sur la tâche minutieuse, précise et délicate qui occupait toute son attention, n’entendit pas la porte s’ouvrir derrière lui et ne vit pas le visage pétrifié d’effroi de sa fille.

Un long cri suraigu sortit de ses lèvres, si puissant et si aigu, que tous l’entendirent, de Vincennes à Boulogne, en passant par Denfert-Rochereau, où il s’engouffra, au pied du Lion de Belfort, dans les Catacombes, dans lesquelles, piégé et perdu, il tourne encore les soirs de grand vent, laissant échapper parfois, quelques bribes glaciales du cri initial.

La fillette claqua la porte et courut aussi vite que ses jambes le permettaient, se refugier au salon, mais il n’y avait personne au salon…
Pas un coin où elle put se cacher.
Pas un trou où elle put disparaitre.
Pas une ombre où elle put se fondre.

Il arriva derrière elle, pressant le pas mais ralentissant sa voix :
– Qu’est ce qui t’arrive, ma fille ?
– J’ai peur.
– C’est moi qui te fait peur ?
– Oui, réussit-elle à dire les lèvres crispées.
– Mais c’est moi, papa, ton papa,
– Non, tu n’es pas mon papa

Il n’en revenait pas. Il n’avait pas imaginé que sa fille aurait réagi comme ça !
Il se doutait bien un peu que ses trois enfants et même sa femme seraient étonnés et surpris, mais pas au point de leur faire peur…

Il enchaina :
– J’ai bien la même voix ?
– Oui, c’est la voix de mon papa, mais toi, tu lui ressemble pas.
– Mais si, je suis ton papa, tu ne me reconnais pas, mais je suis toujours le même, je n’ai pas changé.
– Si, tu as changé et tu n’es plus mon papa.
– Pose-moi des questions sur toi ou sur moi. Tu verras que je connais toutes.les réponses.

Sûr de lui, il s’attendait à une question simple sur elle ou sur lui, mais pas sur ses copines à elle.
– Comment s’appellent mes meilleures amies préférées ?
– Euh, la première, donc ta meilleure copine, c’est Marjorie.
– Et les autres ? osa la fillette cachée derrière le canapé.

Il décida de changer de terrain de jeu.
– Hou… Hou. . . je suis le grand méchant loup, qui mange les enfants qui ne sont pas bien cachés…

Idiot, se dit-il aussitôt, en entendant sa fille éclater en sanglot. Le loup de la télé était encore sur l’écran…
– Non, non, je ne suis pas le loup, c’est pour jouer, comme quand tu étais petite. Tu aimais bien jouer à cachecache, c’est même toi qui voulais toujours jouer, plus que ta sœur.
– Je veux plus te voir et je veux plus jouer avec toi !
– D’accord, je m’en vais, je change la chaine de télé. Voilà, c’est oui-oui, ça te va ?
– Oui, oui.

Il retourna finir ce qu’il avait commencé car il ne pouvait plus faire machine arrière.
Il arrivait de province ayant trouvé un job intéressant dans un groupe de cosmétiques et son nouveau boss lui avait suggéré, dans ce milieu là et à ce niveau là, on n’imposait rien, on suggérait d’en passer par là, pour avoir l’air plus moderne !

Les années 80 finissantes avaient, après les années 70 débutantes, libéré les mœurs, libéré les femmes et libéré Paris. La province n’avait qu’à suivre, idée partagée par les parisiens, pourtant peu partageurs.

Les mœurs s’essayaient à tout, mais au final, une fois tout essayé, chacun, et chacune, se retrouvaient seul, face à l’image renvoyée par son miroir.

Les femmes quittant les fourneaux, avaient conquis les bureaux.
Le monde des affaires, conquis par tant d’opportunités, était à la fête et divorçait sur un coup de tête ou sur un coup de cœur.

Les mœurs, prenant modèle, sans le top, sur ce qu’elles voyaient, au cinéma ou à la télévision, découvraient les années Sida et les restrictions qui suivirent.

Les femmes prenaient le pouvoir, en quantité et en qualité.
Les hommes face au chômage, prenaient l’habitude de ne rien faire.

Seul l’argent travaillait.
Il faisait la fortune de quelques uns, grâce â la privatisation de nos fleurons industriels. C’était avant les délocalisations et la mondialisation.
Toute la province montait à Paris pour trouver son développement et son épanouissement personnel…

Papa n’entendait plus sa fille. Il allait toutes les trente secondes voir ce qu’elle faisait. Elle ne pleurait plus, absorbée qu’elle était par Oui-Oui et sa voiture de pompier.

Enfin, la délivrance arriva. Il souffla de soulagement…et alla vers le hall d’entrée.
La fillette avait été plus rapide que lui.
– Maman, maman, y’a un monsieur là-bas, il est venu me faire peur !
– Ce n’est pas un monsieur, dit-il, mais c’est moi, ton papa.

La mère et les deux filles se retournèrent.
Sur le champ, il comprit l’étendue du désastre ou du moins la dimension de l’événement. Leurs airs ahuris témoignaient la surprise et l’incrédulité.

Elles n’en croyaient pas leurs yeux …

Cet homme planté là, debout, à portée d’un bras, était-il le même que celui qu’elles avaient quitté il y a une heure à peine ? Il était méconnaissable et de fait, elles ne le reconnaissaient pas…
Il parla.
– C’est moi, c’est bien moi.
– Nous, on te connait pas, s’enhardit l’ainée.

Il se faisait tout petit, prenait sa voix la plus tendre, la plus douce, interrogeait sa femme du bout des yeux, voyait la larme descendue jusqu’à la commissure des lèvres, l’autre qui perlait entre la naissance de l’œil et l’aile du nez, une troisième qui apparaissait entre les cils, au bord de l’autre œil…
Elle dit :
– Oui, les enfants, c’est bien papa, il s’est rasé la barbe. On ne le reconnait plus mais il va falloir s’habituer car c’est bien lui…

Elle avait disparu sous le fil du rasoir, la belle et grosse barbe qu’il portait jusqu’à lors. Ils décidèrent ensemble d’épargner la moustache, comme souvenir d’un temps révolu.
Pour toujours ?

Ce soir-là, il fut dévisagé comme jamais et il passa le dîner à se réfléchir dans les yeux des autres. Sa femme alla jusqu’à dire :
– On a l’impression qu’un nouvel homme a remplacé l’ancien.

Est-ce pour cela que les enfants eurent quelques difficultés à s’endormir ce soir là, tant les bruits, les chuchotements, et les fous-rires, durèrent une grande partie de la nuit dans la chambre d’à coté ?


Février 2020

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Général Hiver

Le général Hiver ajuste ses lorgnons,
Il va tirer sa première salve de frissons,
Dans le silence, assourdi, d’un champ de coton,
Peignant, d’un coup de blanc, tout l’horizon.

Et pan ! Volent les flocons,
Les petits, durs et rapides, montent sur mon front,
Glissent sur ma joue, se jouent des bouchons,
Dus aux gros, lents et massifs, duos dans l’action.

Les autos, mobiles, tournent en rond,
Glissent sur le verglas, les unes en long,
Les autres de travers, passent les pompons,
Ceux de mon bonnet et ceux en mission.

Porter secours ils viennent et vont,
Fusil en fleur, à neige, le canon,
Celui de la serrure qui ouvre le pont,
Qui va de toi à moi, trait d’union.
C’est le début d’une chanson,
Celle, magique, d’une liaison,
Tombe la neige, ce soir, sur mon balcon,
Paradis blanc d’un Berger de renom…

Au manège avec Papé

Je suis allée me promener,
Accompagnée par mon Papé 
Au manège, on est allés,
Je me suis bien amusée.

Au début, que du bonheur,
Ca tournait tout en rondeurs,
Mais à plus de cent à l’heure
Ca me faisait vraiment peur ?


Dans un carrosse ! Suis montée,
Deux chevals blancs pour le tirer,
‘Chevaux’ me dit de dire Papé,
Sur un cheveau, je suis allé.

Attraper le pompon, il fallait,
Dans l’autre sens, il allait,
Entre mes doigts, il a glissé,
mais je n’ai pas beaucoup pleuré.

Papé avait encore des sous,
Sur une girafe, j’étais debout.
Après plusieurs tours de roue,
J’l’ai attrapé du premier coup !

Un nouveau tour, j’avais gagné,
Mais j’avais plus envie d’tourner,
Pour demain, je l’ai gardé,
Me suis blotti contr’ mon Papé…

Demain, j’conduirai un vrai bolide,
Pour lui montrer comment j’vais vite,
J’ laisserai l’pompon aux petitouts,
Sauf si … j’peux l’ mettre à mon cou !

La biche et le loup

Il était une fois, au fond des bois, une petite biche qui n’avait jamais vu le loup.
Or, ce matin-là, un loup solitaire, qui faisait son jogging matinal, vit la petite biche avant qu’elle ne le voie…
Il attendit, sûr de lui, l’hallali.
Soudain, sans doute prévenue par un instinct ancestral, la biche leva la tête…
Et se figea !

Elle regarda le loup aux yeux verts, hypnotisé par les yeux bleus de la biche.

Le loup, narquois, resta immobile, baladant ses yeux à lui de ses yeux à elle à son pelage couleur “biche”, en prenant le temps de savourer la finesse de ses jarrets, la place faite pour poser les mains sur ses hanches, le fuselé de son abdomen, la rondeur de sa gorge…
La biche décida de ne pas fuir.

 

Elle ancra ses quatre sabots dans le sol, leva un peu la tête et brama… comme un de ses amis cerf, l’avait fait… devant une autre biche.

Le loup, sous le charme de cette voix frémissante, ne vit pas le cavalier qui s’approchait, fusil en main.
Un seul coup suffit pour que le loup quitte cette terre en regrettant tout le temps de sa mort d’avoir attendu si longtemps, unique fois de sa vie, vie qu’il a payé comptant, mais pas content que ça lui coûte la vie.

Le cavalier s’approcha de la biche qui, dès qu’il la toucha, se transforma en jeune et belle princesse…
C’est ainsi, qu’après avoir vu le loup, elle mit au monde une ribambelle d’enfants, aux yeux hétéro…chromes.
Un œil bleu, l’autre vert.
« Vairons » ils le loup ?

La petite souris est de retour

La petite souris dit à son petit ami,
Je crois bien que j’ai entendu un cri,
D’un grand garçon plein de vie,
Qui a caché sa dent là, dans son lit.

                                  Oui, oui, répondit son petit ami,
                                  Il faut prévenir Oui-Oui,
                                  Pour qu’il vienne dès cette nuit,
                                  Changer sa dent contre un louis.

Mais pas du tout dit la souris,
Ce n’est pas l’affaire de Oui-Oui,
C’est à moi d’aller cette nuit,
Troquer sa dent, car c’est ainsi
Que l’on sait que cet enfant grandit
                                         Et qu’il mérite, s’il est gentil,
                                         Une pièce au bout de la nuit…

juin 2016

Si tous les enfants du monde

Si tous les enfants du monde,
Faisaient ensemble une grande ronde,
Sans attendre de signes du destin,
Ils prendraient celui-la en main.

Deux milliards d’enfants,
Dans un seul et même élan,
Combien de fois le tour de la terre ?
Donneraient le plus beau des concerts.

De toutes les couleurs,
Debout et à toute heure,
Chacun avec sa valeur,
La ronde ne serait plus un leurre…

Six milliards d’individus,
De vrais riches aux presque-nus,
De toutes régions venus,
De chaque religion issus,
Des bébés aux grands-parents
Chacun avec son âme d’enfant.

Impossible, direz-vous, essayons, vous dirai-je !
Non je ne suis pas fou, et je le dirai jusqu’au bout :

Si tous les enfants du monde commençaient par se donner la main…
De toutes les couleurs,
De partout, et à toutes heures,
Chacun avec sa valeur,
La ronde ne serait plus un leurre !

Ca n’arrive qu’à moi

Ca n’arrive qu’à moi,
Tous ces petits tracas.
C’est Maman ou c’est Papa
Qui me force, j’en suis baba !

Me laver les mains à chaque repas,
Me laver les dents à chaque fois,
Manger des légumes que j’n’aime pas,
Plutôt que des pâtes au chocolat !

Dire bonjour à qui j’n’connais pas,
Faire des bisous à qui j’n’aime pas,
Dire merci à chaque fois,
Le mot magique, quarante douze fois.

Puis ils me prennent dans leurs bras,
M’appelle mon cœur, comment çà va ?
Mon trésor, çà ne va pas ?
Si t’es pas sage, tra la la la…

Fais pas comme si, fais pas comme çà,
Sinon au coin, tu finiras…
Moi, je ne veux pas çà,
Je veux qu’ils jouent… avec moa !

Septembre 2014

Les roulettes de mon vélo

J’suis grand ! Y’a plus de roulettes sur mon vélo !

J’suis grand !  J’ vais prendre la route sur mon vélo !

J’suis grand !  J’ f ’rai le Tour de France sur mon vélo…

Pourtant, c’était bien les roulettes

Je pouvais faire des boulettes,

Je ne faisais pas de cuplette !

Alors que maintenant…

Je risque ma vie d’enfant

A tout bout de champ !

Si je remets une roulette,

Papa me prive de tartiflette.

Je peux faire de la trottinette ?

Aout 2014

Cauchemar

Comme chaque soir,
Un cauchemar !
J’ai peur du noir,
Quel désespoir !

Dans le couloir,
Venue pour boire,
Dans la baignoire,
La fourmi noire !

Je vais les voir,
Près d’eux m’asseoir,
Veulent pas me croire,
Veulent rien savoir !

Papa, victoire,
Se lève pour voir,
Hélas, ça foire,
Rien dans l’couloir !

Près du miroir,
Maman, espoir,
Lit une histoire,
Dit au-revoir !

Câlin, bonsoir,
Veilleuse du soir,
Eclaire le noir,
Jusqu’à l’aube… blanche !

Aout 2014

Mon doudou


Mon doudou à moi m’a dit :
Tant que je serai petit,
Il me tiendra compagnie,
Toute la nuit.

Tous les soirs, j’ai bien envie,
De lui dire mille mercis,
Suis pas seul dans ce grand lit,
Toute la nuit.

Maintenant que j’ai grandi,
Je dors à coté de lui,
Il est toujours mon ami,
Toute la nuit.

A mon doudou, moi je dis
Que tant qu’il sera petit,
Je lui tiendrai compagnie,..
Toutes les nuits !